Sous-développement, pauvreté et autres trompe-l’oeil

 

SOUS-DÉVELOPPEMENT, PAUVRETÉ ET AUTRES TROMPE L’OEIL

Pour le PIB (Produit Intérieur Brut), Sao Tomé et Principe est rangé parmi les PMA (Pays Moins Avancés). Notons toutefois que ce PIB par tête, évalué par les Nations Unies en pouvoir d’achat, est quand même officiellement 2 fois supérieur à celui du Mozambique, du Togo ou de Madagascar, 1,5 fois celui du Burkina Faso. Depuis les années 2000 jusqu’en 2018, il a été en croissance constante, de l’ordre de 4% ou 5% par an (pour une croissance démographique de 2%). Quant aux indicateurs de développement humain (espérance de vie, mortalité infantile, taux de scolarisation et d’alphabétisation), ils manifestent, eux, des niveaux intermédiaires entre l’Europe et l’Afrique continentale, et même nettement plus proches de la première que de la seconde.

La population était peu à peu sortie du sentiment de désespoir où l’avait plongé l’effondrement du niveau de vie qui avait marqué les dix dernières années de régime de parti unique (1980 – 1990) et les dix années de libéralisation qui ont suivi (1990 – 2000). Il y avait chez beaucoup l’espérance que l’ascension sociale était possible.

Brusquement, la principale centrale électrique de l’île de Sao Tomé (centrale thermique, aussi étonnant que cela puisse paraître dans un pays troué de torrents, semé de cascades, et où soufflent les alizés) a subi en septembre 2018 de graves avaries entrainant sa fermeture complète. C’était trois semaines avant les élections législatives. On mit son bulletin dans l’urne dans l’obscurité la plus complète. Bien entendu, le parti au pouvoir, jugé responsable, perdit la majorité absolue dont il disposait à l’Assemblée (tout en gardant la majorité relative). Les partis d’opposition formèrent un gouvernement de coalition, qui promit de régler rapidement la situation et de rallumer les lumières : la production d’électricité était tombée au tiers de ce qu’elle était auparavant – et même auparavant, on souffrait parfois de quelques délestages aux heures de pointe. En fait, la situation ne s’est rétablie que très lentement et partiellement . On peut dire que ce n’est qu’en novembre 2019 que la disponibilité en énergie électrique est redevenue, sinon satisfaisante, du moins acceptable. Cependant, encore en 2022, il faut supporter des délestages chroniques.

Le romantisme des soupers à la chandelle durant 15 mois n’a nullement fait les délices des Santoméens. Le prix que l’économie a eu à payer a été d’une extrême gravité. D’innombrables petites entreprises ont dû fermer leurs portes : bars, restaurants, boucheries, ateliers de réparation mécanique, fournisseurs de services informatiques, de télécopie, réparateurs de pneus (qu’on ne peut quand même pas gonfler à la bouche). Les manifestations de rue et les barrages sur les routes n’y pouvaient rien faire : la centrale était à reconstruire, expliquait le gouvernement ; et les caisses étaient vides. Dans cette situation sociale chaotique, le sentiment s’est répandu que « rien n’arrivera jamais à sortir ce pays du sous-développement, il faut émigrer ». On a assisté à un véritable rush sur les visas pour l’Europe – auquel celle-ci a répondu par un durcissement des conditions d’octroi, qui a atteint même des malades ayant le droit de se faire soigner au Portugal, en fonction d’accords passés antérieurement entre les Sécurités Sociales des deux pays. Début 2020, malgré des signes de reprise économique, le désespoir était encore patent. On devine que la crise mondiale engendrée par l’épidémie de Covid-19 n’a pas relevé le moral des populations, frappées par la récession générale. Les bars, les restaurants, les services dits non-essentiels, les chantiers de construction, ont été contraints d’arrêter leurs activités durant des mois et des mois, le plus souvent sans compensation financière. Le secteur du tourisme a vu s’effondrer la fréquentation de la clientèle de 95% pendant une durée de deux ans. Le rêve d’émigrer coûte que coûte s’est répandu chez la majorité des jeunes et a pu se concrétiser pour un nombre important grâce à des réseaux mafieux de trafiquants d’êtres humains jouissant de complicités locales évidentes.     

Un retour du tourisme après la crise pourrait contribuer à ranimer l’économie, et le moral des Santoméens – à condition que les revenus qu’il génère soient répartis au sein de la population, et non captés par les sociétés étrangères des grands hôtels, des compagnies d’aviation et des agences de voyage.

Pourtant, les indicateurs sociaux majeurs ne semblent pas avoir souffert de ces crises : l’espérance de vie, qui atteint à peu près 70 ans, soit plus de 15 ans supérieure à la moyenne africaine, le taux d’analphabétisme qui serait du même ordre qu’au Portugal, beaucoup moins élevé qu’au Brésil, selon les statistiques de la Communauté des Pays de Langue Portugaise, le taux de scolarisation (voisin des 100%). 

Un souverain du Bhoutan, petit pays qui partage avec Sao Tomé et Principe le privilège de vivre à l’écart des turbulences du monde, a lancé l’idée que le plus important, pour un peuple, ce n’était pas le Produit Intérieur Brut, mais le Bonheur Intérieur Brut. Certes, mais c’est chose difficile à mesurer. Si l’unité de mesure est le taux de satisfaction, les Santoméens de début 2020 vous diront qu’ils ne figurent pas en tête du peloton des nations. Mais pourtant, l’étranger de passage est frappé par la bonne humeur générale, le goût de la plaisanterie, la chaleur des rapports humains. Il semble que les fins de mois difficiles, les médicaments prescrits par le docteur qu’on n’arrive pas à se payer en pharmacie, les carences dans le ramassage des ordures, le taux dérisoire de la population disposant de latrines à la maison ou dans le jardin, les élèves entassés à 50 dans les salles de classe (c’est à ce prix qu’on a un des taux de scolarité les plus élevés d’Afrique), les scandaleuses inégalités sociales visibles quand on observe l’habitat ou les voitures qui circulent dans la rue, soient sans impact sur le goût de vivre affiché. Magie du leve-leve ? Mais reste à comprendre d’où vient le leve-leve. Nous ne saurions répondre à cette question. Cherchez la réponse durant votre séjour.     

PRIX, SALAIRES, RÉMUNÉRATIONS, NIVEAU DE VIE

Certains voyageurs habitués à des séjours en Asie trouvent que les prix pratiqués à Sao Tomé et Principe sont chers, et s’étonnent : comment un pays classé comme « moins avancé » peut-il pratiquer des prix supérieurs à ceux de la Thaïlande ou de l’Indonésie ?

La cause en réside pour une part dans le taux de change (les monnaies asiatiques sont notoirement sous-évaluées, alors que la Dobra est rattachée à l’Euro) ; et, pour une part plus importante, dans le fait que les pays d’Asie produisent sur place (et à bas coût) les produits que consomment leurs populations – et les touristes ; alors que Sao Tomé et Principe est un archipel, peu fréquenté par les lignes maritimes (coût du fret élevé), où tous les produits manufacturés et, pour une part non négligeable, les produits alimentaires, sont importés.

Cependant, les voyageurs qui ont fréquenté l’Afrique, et notamment l’Afrique francophone, trouvent au contraire que Sao Tomé et Principe est un pays plutôt bon marché. Vérité en-deçà de l’Océan Indien, erreur au-delà.

Une des raisons qui ont poussé récemment des visiteurs étrangers à considérer que les prix demandés par les services touristiques sont élevés, a été la fixation en 2017 du salaire minimum garanti à 1100 Dobras (45 Euros) ; et même moins (880 Dobras) s’il s’agit d’une micro-entreprise. Cette mesure, prise pour complaire à l’Organisation Internationale du Travail par un gouvernement soucieux de paraître garant de mesures sociales, est une plaisanterie que les Santoméens trouvent amère : on leur a garanti un salaire très inférieur à celui qu’ils touchent généralement. Il n’y a guère de travailleurs à Sao Tomé qui soient rémunérés à ce prix. Mais des travailleuses, si, hélas. Des employées domestiques ou des serveuses de restaurant (elles sont en outre quand même la plupart du temps nourries), car l’on sait bien que les femmes sans qualification autre que ménagère, lorsqu’elles rentrent sur le marché du travail, acceptent des salaires indécents, parce que ce salaire n’est pas ce qui permet de subvenir aux besoins de leur famille, mais que c’est une petite rémunération d’appoint ; elle complète la source principale de revenus du ménage, gagnée par quelqu’un d’autre (le mari, le fils aîné…). Avec ce salaire minimum, on peut à Sao Tomé s’acheter un kilo de riz et un kilo de bananes par jour ; point.

Donnons ici quelques exemples de salaire : un instituteur, une institutrice, ou un professeur de collège non titulaire, 220 € par mois (sans les heures supplémentaires) ; un professeur titulaire, 500 €. Un employé de banque, 500 à 600 €. Un cuisinier dans un restaurant, 200 €. Mais un ouvrier charpentier dans une entreprise de construction, 100 € par mois, hors heures supplémentaires (le malheureux en fait beaucoup, pour doubler ou tripler son salaire).

Le travail salarié est étonnamment sous-payé, en regard du travail indépendant. Le même ouvrier payé 100 ou 120 € par mois dans une entreprise de construction, se fera rémunérer 100 € pour des travaux de peinture chez un particulier, qui lui auront pris tout juste 2 ou 3 jours.

Pour pouvoir vivre, tout le monde a au moins deux boulots, plus souvent trois, parfois quatre. Le professeur de collège est aussi chauffeur de taxi et, occasionnellement guide touristique. Le cuisinier du restaurant est aussi coiffeur entre les repas. Et presque tout le monde cultive, ou aide ses vieux parents à cultiver son jardin, sa rocinha (petite roça) où il élève des poules ; cela lui procure une base de bananes plantain, taro, fruit à pain, légumes verts, œufs ; bien utile lorsque la facture d’électricité ou l’uniforme scolaire à acheter pour les enfants, obligent en fin de mois à une réduction drastique des dépenses à l’épicerie et au marché. 

Message reçu d’un touriste sur notre email : « Je trouve exagéré que le guide de montagne conseillé par votre association, demande, pour l’ascension du Pico Calvario, presque le même prix que ce que je gagne en une journée en Europe ». Notre réponse : « Nous regrettons beaucoup, Monsieur, que le salaire que vous gagnez en Europe ne vous permette pas de payer un guide à ce prix. Le monde est injuste ; nous sommes résolument en faveur d’une société globale où tout le monde devrait avoir le droit de grimper au Mont Calvario tous les jours ! En revanche, nous ne comprenons pas du tout pourquoi un guide de montagne qualifié, qui a suivi une formation, devrait gagner moins en une journée que vous dans votre travail de bureau. La différence de rémunération serait-elle justifiée par le fait que le guide est Santoméen, et vous, d’un pays supposément « développé » ?

Prix d’un repas au restaurant :

2 à 4 € (plat unique) dans une gargote populaire ;

6 à 10 € dans un restaurant « classe moyenne » ;

10 à 25 € dans un restaurant gastronomique, dont certains pourraient figurer comme tel au guide Michelin.

Prix d’une nuit touristique :

15 à 30 € dans une chambre chez l’habitant dans notre réseau ;

40 à 60 € la location d’une maison entière tout confort ;

35 à 50 € pour deux dans un petit établissement hôtelier ;

De 250 à 1000 € pour une chambre dans les grands hôtels de Principe.

Denrées alimentaires ; prix d’un kilo :

de poisson : de 2 à 6 € ;

de tomates : 0,60 € en saison sèche, 2 € hors saison (c’est-à-dire en fin de saison des pluies) ;

de taro (tubercule local) : 0,40 € ;

de pommes de terre (importées, ou cultivées à Sao Tomé en altitude) : 2 € ;

de riz (importé) : 1 ou 1,20 € (basse qualité), 3 € (riz à grain long, Basmati)

Le marchandage : sur ce point, Sao Tomé et Principe n’est pas un pays d’Afrique – ni d’Asie ou du Moyen Orient. Les prix sont les prix, la vendeuse du marché, le conducteur de moto-taxi, ou votre logeur, n’en démordra pas. Tout au plus, lorsque le client aura soupiré que tout cela est bien cher, la vendeuse de marché lui donnera-t-elle un ou deux fruits en plus, ou un oignon, pour manifester son amabilité. Mais il est vrai qu’avec l’apparition du tourisme international, les voyageurs Européens ont appris la technique du marchandage aux Santoméens travaillant dans le secteur touristique. Il y a peu, lorsque le chauffeur de taxi (en dehors d’une ligne régulière de taxi collectif, où les prix sont et restent fixes) disait à son client : cette course vaut 10 €, il était stupéfait d’entendre le touriste, habitué à d’autres pays extra-européens, lui proposer 3 € (dans l’idée que le prix proposé par le vendeur doit être divisé par deux, et que pour aboutir à 5 €, il faut commencer par 3) ; indignation du taximan, devant l’odieuse avarice des Blancs fortunés ; et rupture des négociations. Mais, maintenant, certains chauffeurs de taxi, les vendeurs de souvenirs, voire même, marginalement, quelques vendeuses de marché, ont compris que le Blanc n’est pas si avare, mais qu’il est joueur ; donc, dans ces secteurs, il pourra arriver qu’on vous propose « un prix de Blanc », en sachant qu’il faudra le revoir à la baisse. C’est notamment le cas des taxis qui attendent le pigeon à l’aéroport.

On est actuellement à Sao Tomé et Principe, sur ce point, dans une situation de transition ; et les transitions sont toujours difficiles. L’enseignement du marchandage par les Européens va-t-il prévaloir dans tous les secteurs ? Ou la vieille tradition de respect du prix fixé, puis de la petite ristourne amicale une fois qu’on a payé, va-t-elle se maintenir ? Bien ingénieux qui peut prévoir. C’est un peu comme pour la police de la route : on a vu des Européens ayant commis des infractions (peut-être résidant dans quelque pays africain où c’est la coutume), glisser un billet dans la main d’un policier ; il y a 20 ans, le corrupteur actif aurait été traîné au poste ; de nos jours, on a vu des policiers refermer la main.

C’est encore très rare.

A bon entendeur, salut !

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