Fêtes et spectacles de rue

 

L’ART DE FAIRE LA FÊTE TOUS LES JOURS QUE DIEU FAIT (OU PRESQUE)

Nous l’avons dit en introduction (chapitre : Mais pourquoi donc aller à Sao Tomé et Principe ?), les Santoméens ont le sens de la fête. Fêtes privées et fêtes publiques. Ces dernières sont un élément essentiel de la culture de notre peuple, elles permettent de resserrer les liens sociaux, à travers la convivialité, le manger-ensemble, le danser-ensemble, l’écoute des mêmes musiques et chansons connues de tous ; et aussi à travers les rituels : notamment religieux catholiques (messes solennelles, processions dans la rue), mais il en existe d’autres, laïques, comme la fête des enfants du 1er juin, les bains lustraux dans la mer des premiers jours de janvier, la fête de l’indépendance du 12 juillet, etc. On imaginera sans peine que l’interdiction totale de ces manifestations publiques pendant deux ans pour cause de Covid a été une des pires sanctions que le peuple santoméen ait connues dans son histoire récente, un calvaire jugé beaucoup plus affligeant que la maladie elle-même ; laquelle n’a fait, somme toute, que, proportionnellement à la population, 20 fois moins de victimes (malades hospitalisés et décès) que dans un pays comme la France.

Parmi les éléments marquants de ces fêtes en plein-air, on portera une particulière attention à des formes de spectacle de rue tout à fait originales, qui sont devenues les symboles de l’identité santoméenne : le Tchiloli (dans l’île de Sao Tomé), l’Auto de Floripes (à Principe), le Danço Congo (qui serait d’origine Angolar, mais qui se pratique dans tout Sao Tomé), le Jogo do Cacete, les orchestres de Bulawé, de Semba, de Puita…

Nous avons tenté de donner ci-dessous un calendrier de ces fêtes publiques. Il n’est sans doute pas complet ; mais l’on peut constater qu’il y en a beaucoup, pour un territoire de 1000 km2 et une population de 200 000 habitants. Comme l’assistance à ces fêtes est certainement une des attractions les plus intéressantes que vous pourrez trouver chez nous, ce calendrier devrait vous permettre d’orienter les dates et les lieux de votre séjour dans l’archipel, si votre propre agenda de vacances le permet. Toutes ces fêtes n’attirent pas la même affluence, et toutes ne présentent pas des spectacles de rue ; les plus petites n’offrent que des orchestres et bals populaires, et des stands où manger brochettes, poissons grillés, bananes cuites, avec accompagnement de force libations alcoolisées. Même ainsi, vous apprécierez certainement l’ambiance joyeuse qui y règne. Celles où vous trouverez à coup sûr au moins un des principaux spectacles de rue qui sont notre fierté, sont celles ayant lieu dans les chefs-lieux de district : Trindade, Santana, São João dos Angolares, Guadalupe, Neves ; et bien sûr dans la capitale, au moins celles des quartiers de São Pedro et de Boa Morte. Mais certains villages ont aussi la capacité de financer des représentations de ces spectacles (ces derniers temps, Belém, Capela, Santa Catarina, Santo Amaro, Madalena…). A Principe, le spectacle de rue de l’Auto de Floripes, joué au mois d’août, est en passe de connaître une renommée internationale ; les spectacles de régates sur la baie de Santo Antonio en mériteraient tout autant.        

Procession à Trindade

Fête de Saint Thomas devant la cathédrale

Santana en fête

Régates du 17 janvier à S. Antonio do Principe

Bal populaire

Fête de l'Indépendance, en attendant le feu d'artifice

CALENDRIER DES FÊTES PUBLIQUES À SAO TOMÉ ET PRINCIPE

JANVIER

  • 1, 2, 3 : Banho Santo, sur toutes les plages
  • 4 janvier : fête du Roi Amador, à São João dos Angolares (district de Caué)
  • 2ème weekend : Santo Isidro à Ribeira Afonso (district de Cantagalo)
  • 17 janvier : Commémoration de la découverte de l’île de Principe, à Santo Antonio do Principe
  • 3ème weekend : Porto Alegre (district de Caué // Santo Amaro (district de Lobata)
  • 4ème weekend : São Pedro, dans la capitale (fête des pêcheurs)

FÉVRIER

  • 1er weekend : Condé (Lobata)
  • 2ème weekend : Capela (district de Mé-Zochi) // Roça Sundy (Principe)

MARS

  • Le Carnaval a lieu le jour du Mardi-Gras, qui est une fête mobile ; le plus souvent en mars, parfois fin février

AVRIL

  • 29 : fête de l’autonomie régionale à Principe

MAI

  • 2ème weekend : Agua Izé (Cantagalo) // Prainha (près de Roça Monte-forte, district de Lemba)

JUIN

  • 1er juin : Fête des Enfants (dans tout le pays)
  • 1er weekend : Fête de Dieu le Père, à Trindade (Mé-Zochi) (parfois fêtée le dernier weekend de mai)
  • 13 juin : Saint Antoine (à Santo Antonio do Principe)
  • 2ème weekend : Festa do Mato, à Trindade (Mé-Zochi)
  • 3ème weekend : Fête du Qua-Qua (poisson volant) à Belém (Mé-Zochi)
  • 23 juin : fête de la Saint Jean, à Santo Antonio do Principe
  • Tout le mois de juin : Fête de l’arbre au drapeau, à Picão (Principe)

JUILLET

  • 1er weekend : Fête de Saint Pierre des Pêcheurs à Santo Antonio do Principe // Santa Mocamba, fête des travailleurs du vin de palme (Mé-Zochi) // Fête de quartier à Lucumi (un quartier de la capitale)
  • 12 juillet : Fête Nationale (dans tout le pays)
  • 2ème weekend : 2ème Festa do Mato, Trindade (Mé-Zochi) //fête de la roça Monte Café (Mé-Zochi) // Santa Catarina (Lemba)
  • 3ème weekend : Madalena (Mé-Zochi) // Agostinho Neto (Lobata) // Foz do Io Grande (Caué)
  • 4ème weekend :  fête de Saint Anne à Santana (Cantagalo)  // fête du Bom Jesu à  Belém (Mé-Zochi)

AOÛT

  • 1er août : Auto de Floripes des enfants (Santo Antonio do Principe)
  • 1er weekend : Notre-Dame des Neiges, Neves (Lemba) 
  • 1er ou 2ème weekend : 3ème édition de la Festa do Mato à Trindade (Mé-Zochi)
  • 15 août : São Lourenço, représentation de l’Auto de Floripes, à Santo Antonio do Principe
  • Weekend le plus proche du 15 août (avant ou après) : Notre-Dame des Pélerins, à Batepá (Mé-Zochi) // Fête de quartier à Boa Morte (dans la capitale)
  • Weekend suivant le 15 août : autre représentation de l’Auto de Floripes, à Santo Antonio do Principe
  • 31 août : autre représentation de l’Auto de Floripes des enfants (Santo Antonio do Principe)

SEPTEMBRE

  • 1er weekend : Notre-Dame de Nazareth, à Trindade (Mé-Zochi)
  • 2ème weekend : fête de la Mère de Dieu, à Madre de Deus (un quartier de la capitale)
  • 3ème weekend : fête de la Sainte Croix, à São João dos Angolares (Caué) // Fête locale à Morro Peixe et à la roça Praia das Conchas (Lobata)
  • 4ème weekend : Notre-Dame de Guadalupe, à Guadalupe (Lobata) // Fête locale de Porto Alegre (Caué)

OCTOBRE

  • 1er weekend : Fête de quartier à Plano de Agua Izé (Cantagalo) // Santa Terezinha (Santo Antonio do Principe)

NOVEMBRE

DÉCEMBRE

  • 2ème weekend : Fête de la Roça Ponta Figo (Lemba)
  • 21 décembre : Saint Thomas et découverte de l’île de Sao Tomé (festivités dans la capitale)
  • 24 décembre : messe de minuit chantée à la cathédrale (dans la capitale)

Dans cette troupe, ce sont des actrices qui jouent les rôles féminins

L'avocat devant la cour de Charlemagne

Danse funèbre devant le cercueil de Valdevino

Costumes de Tchiloli au centre CACAU

Photo de l'exposition du centre CACAU

 

TCHILOLI

Le spectacle emblématique de la culture de Sao Tomé, c’est le Tchiloli, représenté lors des principales fêtes paroissiales ou de quartier qui ont lieu durant les deux saisons sèches dans l’île (pas de Tchiloli à Principe). D’autres représentations publiques, parfois abrégées (dans son intégralité, le spectacle dure environ 6 heures), sont données dans d’autres occasions : fête nationale du 12 juillet dans la capitale, festivals, congrès avec venue de délégations étrangères… A plusieurs reprises, le Tchiloli a été présenté à l’étranger, notamment à Paris au Théâtre des Cultures du Monde, puis, en juin – juillet 2022, au Théâtre de la Ville. 

Le spectacle est l’adaptation d’une pièce de théâtre portugaise écrite, en vers, au 16ème siècle, à laquelle ont été ajoutés, probablement à la fin du 19ème siècle, divers épisodes où les dialogues sont rédigés en prose en langue moderne. L’histoire est celle des suites de l’assassinat du jeune Baudouin de Mantoue (Valdevino de Mántova) par son ami le prince Carloto, fils de Charlemagne (les romans de chevalerie tirés des chansons de geste du Moyen Age français ont été très prisés au Portugal au cours de la Renaissance). Motif : le prince Carloto ne supporte pas que Valdevino ait épousé la femme qu’il convoitait, la belle Sybille. Le meurtre, qui a lieu au cours d’une partie de chasse, nous est montré en prologue, dans une superbe scène mimée. La famille du marquis de Mantoue, le père de la victime, a tout de suite des soupçons sur l’identité du meurtrier, et porte plainte auprès de Charlemagne. L’empereur acceptera-t-il de traduire son fils unique en jugement ? Et les plaignants, et plus particulièrement le Pair de France Renaud de Montauban, commis à l’enquête par la famille de Mantoue, arriveront-ils à réunir des preuves ou des témoignages suffisants pour faire condamner l’assassin ?

Mais ce qui était à l’origine une pièce de théâtre sur le thème « le Pouvoir va-t-il accepter que justice soit faite, alors que les sentiments du monarque et les intérêts dynastiques sont en jeu ? », est devenu, transformé par la magie de la conception santoméenne de la mise en scène, un spectacle total, où musique, danse, pantomime, libations rituelles, masques et costumes, jouent un rôle plus important que les dialogues. Etrange impression que de voir Charlemagne et son ministre Ganelon entrer en scène, couverts de gris-gris et d’amulettes, un téléphone portable à la main, pour psalmodier, en prenant des postures hiératiques, des vers en portugais archaïque du 16è siècle ! Les acteurs sont pour la plupart masqués, ce qui les oblige à manifester sentiments et émotions par une gestuelle corporelle, et non par l’expression du visage. Traditionnellement, les rôles féminins (la veuve éplorée de la victime – la belle Sybille ; l’impératrice, mère de Carloto) sont tenus par des hommes, souvent de stature athlétique. Une très belle exposition permanente sur le Tchiloli au centre culturel CACAU montre des photos d’acteurs endossant leurs costumes féminins, et dont l’expression change au fur et à mesure de leur travestissement : saisissant. Cependant, l’exclusion des femmes du théâtre de Tchiloli est une tradition, pas un tabou ; on commence à voir des spectacles où des femmes jouent dans cette pièce.

Produit de notre culture créole et métisse, la « Tragédie du Marquis de Mantoue et de l’empereur Charlemagne » comme elle est officiellement appelée, évoque chez les spectateurs santoméens des résonances profondes. Dans le public, tout le monde connaît non seulement l’histoire qui est contée, mais la façon dont les acteurs doivent danser, mimer. Par exemple, lorsque Moço Cata, le jeune page du prince Carloto, entre en scène, porteur d’une lettre où le prince confesse son crime à son oncle Roland, le pas du jeune homme (ce rôle est toujours joué par un adolescent) doit être un pas glissé et aérien, dont les Santoméens prétendent qu’il a inspiré Mickael Jackson lorsqu’il a créé son fameux « moonwalk ». Donc, au moment précis où le tout jeune homme apparaît, de nombreux spectateurs, qui sont allés manger une brochette et boire une bière pendant les épisodes précédents, jugés moins intéressants (rappelons que le spectacle, à ce moment-là, dure déjà depuis environ 2 heures), reviennent et apprécient à haute voix : « Regarde son pas, il est bon, le Moço Cata d’aujourd’hui, mieux que Mickael Jackson ». Mais, dans l’espace qui sert de scène (un rectangle de terrain nu laissé libre par les spectateurs), le pas dansé furtif du jeune page, qui mime la discrétion et la peur d’être surpris, se transforme en fuite lorsqu’apparait Renaud de Montauban, tout vêtu de noir, qui va chercher à s’emparer de la lettre. Une course poursuite s’engage entre les deux personnages, mais une poursuite qui reste dansée. Renaud de Montauban finit par maîtriser le page et lui arracher la lettre, ainsi le veut le scénario. Mais ce qui reste improvisé, c’est la façon dont le jeune poursuivi, par de brusques pas en zigzags, des feintes, des entrechats, va échapper quelque temps à son poursuivant. Selon son habileté, il va être applaudi ou hué par la foule. Ainsi, d’épisodes en épisodes connus, le public vibre, participe, commente, depuis de nombreuses générations.

Nous vous invitons à vibrer avec nous.

Pour en savoir plus avant de venir sur place : 

  • Un très beau livre en français : TCHILOLI : CHARLEMAGNE À SAO TOMÉ, SUR L’ÎLE DU MILIEU DU MONDE, par Françoise Grund, Éditions Magellan et Cie, 2006.
  • Des images vidéo sur Youtube : Du terrain à la scène #3 Tchiloli, théâtre épique à Sao Tomé 

 

AUTO DE FLORIPES

Le matin du 15 août, difficile de dormir tard si vous vous trouvez à Santo Antonio do Principe. Dès les premières lueurs de l’aube, la ville commence à résonner du battement des tambours et de brèves phrases musicales jouées à la flûte, dans une rue, puis une autre, quartier par quartier. Il est de tradition, en effet, que les acteurs, qu’ils jouent dans le camp des Chrétiens ou dans celui des Mores, aillent, accompagnés par les musiciens, chercher leurs collègues chez eux et leur donne l’aubade avant qu’ils ne sortent pour se joindre au cortège. Ainsi, petit à petit, le cortège grossit, parcourt toutes les rues de la petite ville, puis se sépare en deux : ceux qui sont vêtus de superbes costumes dans différents tons de bleu et de vert, vont gagner le palais de Charlemagne, édifié en bambous et feuilles de palme devant le seuil de l’église ; ceux qui sont habillés en rouge rehaussé de jaune or, se rassemblent autour du palais du Sultan des Mores, qui se dresse, lui, devant le bel édifice en pierre abritant, de nos jours, le Gouvernement Régional. Entre les deux, une rue assez large qui marque le cœur de la ville.

Le batuque, c’est-à-dire, le battement des percussions, s’amplifie et son rythme fait monter la tension. L’action peut commencer.

Dans le camp chrétien, conciliabule : Charlemagne fait part de son intention d’envoyer un ambassadeur auprès du Sultan pour sommer les Mores de se convertir à la foi chrétienne. L’ambassadeur parcourt d’un pas dansant la rue qui sépare les deux camps et vient présenter sa requête aux Infidèles. Il est, bien entendu, éconduit, et, lorsqu’il rend compte au camp chrétien de la réponse négative du Sultan, les chevaliers de Charlemagne entrent en guerre. A partir de là, le public massé dans les rues et places de la ville, va assister à plusieurs heures de combats, à grands coups d’épées de bois, qui s’entrechoquent ou frappent des boucliers sonores, dont le bruit se mêle aux battements des tambours. Combats de groupe, et combats singuliers, car les chevaliers des deux camps se lancent des défis ; ce qui donne l’occasion d’admirer la virtuosité des acteurs-vedettes dans cet art martial, tout d’entrechats et de feintes, puisqu’il ne faut jamais toucher son adversaire, tout en faisant croire que la violence du coup porté va lui casser la tête ou les côtes. Il y a là, à l’évidence, un cousinage avec l’art martial traditionnel du pays, la « Bliga ».

Mais l’Auto de Floripes n’est pas seulement un spectacle d’art martial. Il y a une intrigue, une histoire d’amour. Dès les premiers combats, le chevalier chrétien Guy de Bourgogne (les noms des personnages sont inscrits sur leur bouclier, le public crie souvent leur nom pour les encourager) a été fait prisonnier et a été transféré au palais des Mores. Aussitôt, coup de foudre : la fille du Sultan, la belle Floripes, tombe amoureuse du chevalier. Le séducteur va la convaincre de le délivrer et de s’enfuir avec lui par les rues adjacentes jusqu’au palais de Charlemagne ; là, elle se convertit à la foi chrétienne. Bien sûr, fureur des Musulmans ; une ambassade vient requérir le retour de la belle chez son père, mais celle-ci, du haut du premier étage du palais, refuse, et, plus grave, assure aux envoyés du Sultan qu’elle a reconnu la Vraie Foi, et leur conseille de se convertir à leur tour. Les combats redoublent d’intensité. L’excitation du public aussi. Des « Bobos », personnages montés sur de hautes échasses et dont la tête est couverte par un masque de style africain, se chargent de maintenir l’ordre et d’éloigner les spectateurs enclins à se mêler de trop près aux combats. A d’autres moments, ils créent des intermèdes en jouant des farces, feignent de piller les étals des boutiques de la ville et des échoppes des vendeurs de bière, d’eau-de-vie, de brochettes et de poissons grillés qui se sont installés près du lieu de la représentation, ou menacent les petits enfants qui s’éparpillent en criant à la fois de joie et de terreur de se faire attraper et lancer en l’air par ces géants.

Le soleil de l’après-midi commence à décliner. Vous aurez sans doute déjà deviné que ce sont les Chrétiens qui gagnent. Mais les vaincus sont faits prisonniers ; et, transportés au camp de Charlemagne, devant l’église principale de Santo Antonio, comprenant que Dieu est du côté des vainqueurs et que c’est lui qui a permis leur déroute, ils se convertissent à leur tour à la foi chrétienne. Alors, les chevaliers chrétiens les libèrent, les embrassent, certains échangent leurs casaques de couleur, comme les joueurs de foot échangent leurs maillots à la fin du match ; et, bras-dessus, bras-dessous, ils vont boire des pots dans les bars de la ville, où la fête durera toute la nuit.   

Auto de Floripes, défilé dans la rue

L'ambassadeur de Charlemagne

Coup de foudre entre Floripes et Guy de Bourgogne

Auto de Floripes, mêlée générale

Un More occis par un chevalier chrétien

 

DANÇO CONGO

S’il faut rattacher le Danço Congo à un genre du spectacle, c’est au ballet, que nous le ferons ; pas de paroles, à la différence du Tchiloli et de l’Auto de Floripes ; mais de la musique (flûtes, tambour, maracas), de la danse, et du mime. Le Danço Congo est considéré comme provenant de la culture angolar (sur cette communauté, voir notre page « Atténuation des sentiments d’appartenance ethnique » dans le chapitre « Une société insulaire et créole » ; voir aussi ce qui est dit sur S. João dos Angolares au chapitre « Séjours sur le littoral le long de la Route du Sud ») ; mais il a réussi à conquérir son public dans toutes les communautés de l’île de Sao Tomé, et des troupes de Danço Congo se sont constituées même en pays forro. Ce divertissement était très mal vu, au temps de la colonisation, par l’Église catholique, qui a longtemps tenté d’en faire interdire la représentation, au motif qu’elle mettait en scène des pratiques de magie noire et entrainait, dans les scènes finales, certains des acteurs et même des spectateurs à rentrer en transes, possédés par des esprits. Il est plaisant de constater que, désormais, il y a des troupes de Danço Congo qui participent, au même titre que celles de Tchiloli, aux cortèges des fêtes paroissiales, derrière les porteurs de statues ou d’images saintes, les enfants de chœur, les confréries de pénitents ; en queue de cortège, certes, mais leurs masques, leurs facéties irrespectueuses et leur gaieté turbulente, qui suscitent l’hilarité du public, ne choquent plus, apparemment, ni le prêtre qui marche en tête, ni les fidèles les plus puristes.

La représentation a lieu, en général, le dimanche en début d’après-midi – on donne aux fidèles le temps d’aller déjeuner après la messe. L’argument du ballet connaît quelques variantes selon la troupe qui joue, mais on peut le résumer de la façon suivante.

Les héritiers d’une roça – en général, figurés par trois couples, les hommes habillés comme des loqueteux et portant des masques grimaçants, les femmes, souvent jouées par des acteurs masculins, mimant des attitudes provoquantes – gaspillent leur bien en se livrant à la débauche : boissons fortes, danses lascives, fornication, échangisme… Ce qui donne lieu à des scènes plus ou moins crues ou vulgaires selon les troupes (certaines en rajoutent dans la farce et la représentation de l’ivresse). Ces possesseurs de la roça donnent une fête, où ils invitent un capitaine et son lieutenant, qui leur amènent une troupe de musiciens-danseurs composée de très jeunes gens, d’adolescents et de pré-adolescents : les ansos (les enfants, en créole), menés par un anso-molé (« l’enfant qui doit mourir »). Très vite, l’élégance de ces nouveaux-venus, le rythme de leur musique, la légèreté aérienne de leurs pas de danse, les amènent à prendre le dessus sur les maîtres du lieu, et leur supériorité oblige ces grossiers parvenus à danser à leur rythme et à suivre leurs pas.

Entre en scène un féticheur, cagoulé et tout de rouge vêtu, ondulant comme un serpent, qui louvoie aux marges du public pour se rapprocher des danseurs. Il est le plus souvent flanqué d’un assistant ; en retrait, apparait le Diable lui-même : justaucorps rouge sang et cape de Batman, monté sur des échasses ou sur un animal fabuleux. On sent ces personnages démoniaques attirés par la danse des enfants angéliques ; mais l’attirance est aussi dans l’autre sens, les héritiers de la roça voudraient bien faire rentrer les féticheurs, voire le Diable, dans le cercle des danseurs, sans doute pour profiter de leurs pouvoirs magiques. Ce jeu d’attirance et de répulsion se poursuit durant plusieurs épisodes et donne lieu à des figures de ballet complexes.    

Le féticheur réussit à faire mourir l’anso molé. Mais cette victoire des forces de la sorcellerie n’est que provisoire. Les autres ansos, le capitaine, les maîtres de la roça, vont s’emparer du féticheur en le pêchant au lancer comme un vulgaire requin, le ferrer, l’amener avec effort au centre de la piste, et, dans une scène superbe, user d’un harpon pour le clouer au sol, où il va entrer en convulsions. Brutalement, ces convulsions de l’agonie se transforment en transes ; est-ce encore le même personnage, qui rejette le harpon, se redresse, et fend le public ? N’est-ce pas plutôt un esprit qui a pris possession de ce corps vêtu de rouge aux gestes saccadés, qui se met à grimper sur un arbre, ou sur un poteau électrique, ou sur la façade d’une maison, et, de là, exécute des prouesses spectaculaires : faire s’agiter toute la houppe de l’arbre en syntonie avec le rythme de plus en plus effréné des tambours, ou marcher en funambule sur un câble électrique entre deux poteaux, ou sauter d’un toit de maison à un autre, descendre le long d’une gouttière comme un reptile, la tête en bas ? L’acolyte du féticheur, quand il y en a un, rentre également en transes ; la contagion gagne certains spectateurs, qui à leur tour sont « montés » ou chevauchés par des esprits ; tandis que le Diable crache par la bouche de longues flammes qu’un des musiciens alimente par de généreuses rasades d’eau de vie.

Il faudra que les musiciens du corps de ballet reviennent à un rythme plus doux, progressivement, pour que ces manifestations de possession disparaissent. Le public offre à boire aux danseurs visiblement épuisés (le spectacle a duré plusieurs heures), puis se disperse peu à peu.

BLIGA

La Bliga, aussi appelée Jogo do Cacete (Jeu du bâton, ou Jeu du Casse-tête), est un sport martial chorégraphié, très semblable à la capoeira brésilienne, mais où les acteurs utilisent un long bâton. Le jeu consiste à toucher l’adversaire avec le bâton sans le frapper réellement, malgré la force avec laquelle le coup est asséné, et, bien sûr, à parer ses coups ; et ce, sur un rythme marqué par les musiciens percussionnistes, en exécutant des pas de danse acrobatiques. Une performance sportive et artistique qui demande souplesse et maîtrise du geste  extraordinairement spectaculaires.

Le prestige de la culture brésilienne, et notamment de la capoeira, a amené de nombreux jeunes à pratiquer ce sport à mains nues, plutôt que la bliga traditionnelle, mais cette dernière commence à revenir à la mode. Plusieurs groupes pratiquent les deux. De toute façon, capoeira ou bliga, vous serez fasciné par le spectacle.

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